Comment associer les champs éducatifs et artistiques sans rentrer dans celui de la thérapie?

Publié le par grouni

Ayant été aux Beaux-Arts de Paris et étant actuellement en formation d’éducatrice spécialisée, cette réflexion sur la médiation artistique comme un outil d’intervention professionnelle m'intéresse particulièrement.

 

L'art-thérapie est une approche que j'apprécie. D'ailleurs, dans mon projet professionnel, j'y avais inclus cette formation, avec ces questionnements : serait-ce un plus pour moi, à la fois artiste et éducatrice,  avoir un regard d'art-thérapeute m'empêchera-t-il de garder celui d'éducatrice et vice versa ?

Ce qui me posait question au début de ma réflexion est l’analyse de Paul Bernard (1) qui soutient le fait que l’art-thérapie est une forme de psychothérapie. Or il me semble que la psychothérapie classique amène, dans un cadre délimité, le patient à parler de lui « je/maintenant » en évoquant le « je/naguère » tout en cherchant, en examinant, les symptômes de celui-ci.

 

L’art-thérapie est un processus différent. Celle-ci permet à l’individu de parler à la troisième personne. Le travail thérapeutique tente d’amener l’usager à s’exprimer à travers sa propre création. L’art-thérapeute et son « patient » communiquent à travers un objet que ce dernier a créé. Et c’est probablement là que se situe la différence entre la psychothérapie classique et l’art-thérapie.

Oscard Wilde (2) a écrit « Donnez-lui un masque, il vous dira la vérité ».

 

L’art thérapeute, d’après Jean Pierre Klein(3), est là pour aider le « patient » à mettre en forme son mal être, à décliner son identité « à travers des formes artistiques dans un parcours de créations qui provoquent peu à peu la transformation du sujet créateur, qui lui indiquent un sens ». Il parle de « la création comme processus de transformation ». Il s'agit là d'apporter une modification dans le fonctionnement de la personne (ex : repérer et alléger la prégnance du symptôme).

 

L’art-thérapeute est un artiste et un professionnel de la relation d’aide. Il ne s’attache pas à la technicité du travail créatif de l’ « usager ». Il amène ce dernier à parler de lui-même à travers une technique artistique dans laquelle il se sent le plus à l’aise : arts appliqués, danse, écriture, théâtre, marionnettes, musique, chants… L’art est un moyen de communication ; l’art-thérapeute sert à le mettre en forme, à lui donner du sens.

 

La thérapie apporte à l’art le processus de transformation de l’individu et l’art enrichit la thérapie d’une grande diversité. Chaque être humain s’exprime au nom de sa propre vision du monde, de sa culture et de son expérience quotidienne  à travers des formes artistiques propre à chacun. L’art-thérapie tente d’amener cette expression dans un processus d’évolution de la forme créée. C’est un suivi de la création qui permet la transformation de l’individu et c’est pourquoi, in fine, l’art-thérapie reste, en soit, une forme de psychothérapie comme le suggère Paul Bernard (1).

 

L’art est un facteur de communication unique et universel. Schopenhauer (4) expliquait : « l'artiste nous prête ses yeux pour regarder le monde ». Je rajouterai qu’il nous prête ses yeux pour regarder son monde, pour regarder le monde à travers tout ce qui fait de lui son individualité. L’art fait avancer le monde. Il le met en lumière. Paul Klee (5) disait : « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible ». Chaque création humaine est un témoignage de l’histoire. Elle nous rappelle le passé, elle donne du sens au présent. S’il est à l’abri des critiques, des contraintes, des conventions, des règles imposées,  libéré de toute entrave, l’art peut être un magnifique exutoire.

 

L’art se trouve dans l’espace transitionnel. Il est le lieu où l’individu peut se permettre de rêver, de jouer,  d’exprimer, en toute liberté, tout ce qu’il ressent par rapport à la réalité. C’est un espace qui se situe entre le dedans et le dehors, entre la réalité intérieur de l’individu et la réalité extérieur à celui-ci.

 

Winnicott (6) ouvre la voie, en quelque sorte, à l’art-thérapie en disant « C'est en jouant, et seulement en jouant que l'individu, enfant ou adulte, est capable d'être créatif et d'utiliser sa personnalité toute entière. C'est seulement en étant créatif que l'individu découvre le Soi. »

 

Pour Freud (7), la création artistique vient de nos pulsions sexuelles. Il parle de sublimation. Or, il me semble que le sens de la créativité prend son origine bien au-delà de nos pulsions sexuelles. Chaque enfant qui nait est porteur de créativité. Si on lui donne l’espace pour le cultiver et le développer, l’individu, en grandissant, sublimera en mettant en forme sa propre vision du monde.

 

J’apprécie beaucoup la définition que donne Marc-Alain Descamps (8)  de la sublimation, « L'être humain est déterminé par son passé et libéré par son futur. On ne peut pas sublimer, si on ne se projette pas dans le futur. Mais cela n'est pas possible tant que l'on n'a pas trouvé un sens à sa vie et au monde. Il ne peut pas y avoir de sublimation sans le développement du potentiel humain et son dépassement vers le Transpersonnel. Par la création l'homme collabore à l'ordre du monde et à son devenir ».  Cette définition me plait parce qu’elle donne tout son sens à l’art-thérapie mais également au travail de l’éducateur. Tous deux vont tenter d’accompagner, chacun à leur façon, l’individu à comprendre d’où il vient et vers quoi il souhaite aller. Tout dépend de la façon dont on souhaite travailler : sur un versant préventif en proposant un espace de créativité ayant une fonction exutoire (par exemple: canaliser les tensions, les violences en proposant un lieu de décharge pulsionnelle), sur un versant dynamique dans l'intention de remobiliser, de relancer le fonctionnement du psychisme chez une personne en difficultés passagères ou porteuse de handicap (la créativité donne la possibilité de fonctionner par d'autres canaux que la parole, le corps étant à l'œuvre), ou sur un versant curatif où il s'agit d'apporter une modification dans le fonctionnement de la personne (ex : repérer et alléger la prégnance du symptôme).

 

L’art ne peut être qu’un plus au travail de l’éducateur. Il est un moyen d’expression libératoire et antalgique. Sa diversité permet  une adaptabilité aux différentes structures, à leur projet éducatif ainsi qu’à l’ « usager ». Je ne pense pas pour autant que cette pratique soit systématiquement appréciable par toutes ou tous. Les divers projets artistiques mis en place dans les institutions éducatives sont des outils supplémentaires à l’accompagnement des « usagers ».  Ils peuvent permettre une évolution positive des personnes qui y participent.

 

En sondant les différents professionnels qui sont à mes côtés, il semble clair que la double casquette est difficile à porter (éducateur spécialisé tout en étant art-thérapeute). Le point de butée étant d'être pour la même personne sur un versant thérapeutique et sur un versant éducatif. Si l'on souhaite que la relation transféro-contretransférentielle opère il est impossible d'être sur les 2 versants, même si, en tant qu'éducateur, cette relation peut opérer seulement si on en prend conscience et que l'on accepte de fonctionner avec. Pour ma part, je pense que si l’éducateur travaille sur un versant préventif cela reste possible.

 

Ce sont deux professions différentes. La façon d’exercer et les objectifs ne sont pas les mêmes. On peut être éducateur spécialisé et travailler, avec comme support, l’art sans rentrer pour autant dans une vision de thérapeute. Ou alors, il faut être très clair, avec tel  « usager » le professionnel est art-thérapeute et tel autre, il est éducateur. Je ne pense pas pour autant qu’il soit bon de porter la double casquette, ni pour le professionnel, ni pour l’ « usager ». Tous deux risqueraient de s’y perdre.

 

Cordialement

Grouni

 

 

 

Annexe :

1-      Paul Bernard, Psychiatre. Manuel de l’infirmier en psychiatrie, Paris, Masson, 1974 ; Organisation thérapeutique de la vie sociale à l’hôpital psychiatrique, Documents de l’information psychiatrique, 2, « Au-delà de l’asile d’aliénés », 1947

2-      Oscard Wilde, écrivain, La critique créatrice, Editions complexe, 1999

3-      Jean Pierre Klein, psychiatre, « L’art-Thérapie », Puf, Que sais-je ?, 2008. Il dirige l’Institut national d’expression, de création, d’art et de thérapie ainsi que la Escuela des arterapia (Barcelone). Il préside la Fédération internationale de thérapie et relation d’aide avec médiation.

4-      Arthur Schopenhauer, philosophe, Du génie, Fayard/mille et une nuits, 2010

5-      Paul Klee, peintre, Journal, Grasset et Fasquelle, 2004

6-      Donald Woods Winnicott, pédiatre, psychiatre et psychanalyste, Les objets transitionnel, Essai (poche), 2010

7-      Sigmund Freud, médecin neurologue, pionnier de la psychanalyse, La sublimation. Les sentiers de la création, Sand, 1997, écrit avec Didier Anzieu, Abraham, Paul Klein

8-      Marc-Alain Descamps, professeur en philosophie et psychologie, Art et créativité, Trismégiste, 1991

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